En novembre 2019, le Conseil des services de santé de première ligne aux Autochtones (Indigenous Primary Health Care Council - IPHCC) fut fondé dans le but de faire avancer la planification et la prestation des services de soins de santé primaires en Ontario. Le principe de la santé autochtone entre les mains des Autochtones est au cœur de ses efforts. L’organisation promeut la prestation de soins de qualité fondée sur le Modèle de santé et bien-être holistique, une approche reposant sur les besoins de la population pour la planification des soins, des moyens d’évaluation adaptés à la population autochtone et la mise en œuvre des meilleures pratiques pour l’excellence en matière de santé autochtone.

La santé autochtone entre les mains des Autochtones est aussi une priorité des organisations membres de l’Alliance pour des communautés en santé, dont plusieurs font partie de l’IPHCC. Lors de l’assemblée générale annuelle de 2019 de l’Alliance, les membres ont adopté unanimement une résolution qui stipulait :   

« Il est résolu que l’Alliance pour des communautés en santé souscrive à l’idée que des organisations de gouvernance autochtones planifient, conçoivent, développent, fournissent et évaluent les soins de santé pour les Autochtones et que l’Alliance exhorte les centres membres à travailler d’une manière qui honore et respecte la voix, le leadership et les cadres de gouvernance des Autochtones, et qui reflète des relations alliées authentiques. »

Mais concrètement, à quoi ressemble « la santé autochtone entre les mains des Autochtones »? Comment les organisations autochtones et non autochtones peuvent-elles effectuer cette transition essentielle dans la façon dont se fait en Ontario la promotion de la santé et du bien-être des Autochtones? Quels sont les changements à apporter, et par quoi devons-nous commencer? À quoi pourraient ressembler ces nouvelles relations?

En décembre dernier, le Centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones du Sud-Ouest (Southwest Aboriginal Health Access Centre - SOAHAC) et le Centre de santé communautaire (CSC) de Guelph ont annoncé que la supervision et la direction du Programme de guérison et de bien-être autochtone de Waterloo Wellington (Waterloo Wellington Indigenous Healing and Wellness Program - IHWP) seraient transférées du CSC de Guelph au SOAHAC. Cette transition volontaire est en vigueur depuis le 15 décembre 2020. Dans une lettre ouverte publiée à l’intention de la communauté pour souligner ce transfert, le CSC de Guelph explique que celui-ci fut renseigné par un examen exhaustif d’expert-conseil mené par des Autochtones qui fut effectué par INDSight Consulting et qui a conclu qu’il vaudrait mieux que le programme soit offert au sein d’un centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones existant.  

Cette transition découle d’années d’efforts pour tisser des liens et renforcer la confiance et de mesures visant à ce que les besoins des peuples et des communautés autochtones soient au cœur de la planification et des gestes posés pour se diriger vers la santé autochtone entre les mains des Autochtones.

Nous avons parlé à certaines des personnes qui ont participé directement à la transition et à sa planification pour en savoir davantage sur son déroulement, sur sa signification pour la santé autochtone et sur les perspectives d’avenir. Voici certains de leurs commentaires.

Nous commençons avec Don McDermott, président du conseil d’administration du CSC de Guelphqui a discuté des premières mesures prises :

« En septembre 2019, le personnel de la direction et le conseil d’administration ont rencontré le cercle consultatif autochtone pour le programme de guérison et de bien-être autochtone en place au CSC de Guelph. Nous avons eu une excellente discussion sur ce qui devait être fait, mais tout autant sur la façon de le faire. Il ne faisait aucun doute que le cercle consultatif devait et souhaitait avoir son mot à dire dans toute décision concernant le transfert. Il voulait jouer un rôle important dans la décision et dans l’embauche du conseil-expert. Notre conseil d’administration régi par la communauté était d’avis que c’était une très bonne idée. Une excellente relation de travail s’est établie entre notre conseil d’administration et le cercle consultatif; s’en est suivie une bonne décision quant au transfert. Le RLISS du Sud-Ouest et le RLISS de Waterloo-Wellington ont bien coopéré pour que le tout se fasse le plus rapidement possible sans pour autant réduire le temps prévu pour les consultations. Nous avons fait appel à une entreprise autochtone de conseil-expert, INDsite Consulting, pour nous aider à déterminer l’endroit où le programme devait s’établir et les mesures à prendre pour procéder au changement. Je crois qu’ils ont fait du très bon travail. »  

Brian Dokis, directeur général du SOAHAC, a parlé du travail préparatoire qui fut fait pour réaliser ce type de transition :

« Nous sommes très heureux et reconnaissants que le CSC de Guelph ait réalisé qu’il ne devrait pas être responsable de la prestation de soins de santé pour les Autochtones. L’Alliance a joué un rôle déterminant dans l’adoption de la résolution en 2017 stipulant que la santé autochtone devrait être entre les mains des Autochtones. Je ne crois pas que cela serait arrivé sans le leadership de l’ancienne directrice générale de l’Alliance, Adrianna Tetley. Elle a reconnu que les CSC ne devraient pas faire la prestation de ces services, qui devrait être assurée par des organisations dirigées par des Autochtones ou des Premières Nations. La défunte Denise Brooks (directrice générale du Centre de santé communautaire du noyau urbain de Hamilton décédée en août 2020) a aussi joué un rôle important dans la réalisation de ce projet. Elle a reconnu le racisme, la discrimination et l’oppression qui existaient. Nous sommes reconnaissants du soutien qu’elles ont apporté à notre secteur et à notre besoin d’une prestation de services pour les Autochtones par les Autochtones.

Il y avait un manque de soins de santé culturellement adaptés dans la région pour une grande population d’autochtones estimée à 50 000 personnes. Le modèle des centres d’accès aux services de santé pour les Autochtones existe en Ontario depuis plus de 20 ans et il a fait ses preuves. Plusieurs d’entre nous sont accrédités. Les services offerts sont de grande qualité et sont adaptés à la culture autochtone. La prestation en est assurée par des Autochtones qui ont du vécu dans cette culture, et qui connaissent les services et les besoins. »  

Raechelle Devereaux, directrice générale du CSC de Guelpha parlé des raisons pour lesquelles ce transfert de la direction, de la gouvernance et de la conception est essentiel pour la santé des Autochtones et a expliqué que le statu quo n’est pas une option : 

« En l’absence d’une organisation de soins de santé dirigée par des Autochtones dans la région, le CSC de Guelph a joué un rôle important initialement dans la gérance du programme de guérison et de bien-être depuis son établissement en 2016. Depuis lors, nous recevons des sommes de plus en plus importantes pour financer les soins de santé pour les Autochtones; nous les avons utilisées pour embaucher du personnel autochtone qui fait la prestation d’un programme autochtone pour les résidents de Waterloo-Wellington. Au cours de cette période, nous avons toujours travaillé afin d’établir des liens de confiance avec la communauté autochtone, notamment par des approches visant à intégrer les conseils et les orientations des Autochtones au programme. Malgré ces efforts, le fait que ce programme était chapeauté par une organisation dirigée par des personnes de race blanche, qui ont une perspective du monde teintée par leurs origines, fut inévitablement ressenti par notre personnel, le cercle consultatif autochtone et la communauté comme étant un prolongement du colonialisme. Les services de soins de santé pour les Autochtones doivent être supervisés et dirigés par des Autochtones, les soins de santé pour les Autochtones doivent être entre les mains des Autochtones. » 

Caroline Lidstone-Jones, directrice générale du Conseil des services de santé de première ligne aux Autochtones, a expliqué pourquoi les relations sont essentielles pour réussir et pour assurer que les peuples et communautés autochtones aient accès à des services, à des programmes et à des espaces adaptés à leur culture, peu importe où ils vivent :  

« Je crois qu’il est nécessaire d’établir des relations localement pour encadrer ces changements. Il s’agit d’une véritable reconnaissance de l’importance de la santé autochtone entre les mains des Autochtones, ce qui nous permet d’avoir notre mot à dire sur l’allure que cela prendra. L’ouverture qu’offre la gouvernance par la communauté est importante pour tisser ce genre de relation. Il faut aussi établir et créer un espace où ce travail se fait respectueusement et le faire conjointement entre organisations.

Ce que nous faisons avant tout, c’est de nous assurer que les Autochtones puissent émettre une opinion sur les services offerts et l’allocation des fonds pour ceux-ci. C’est un aspect important et nous le réclamons depuis des années afin de pouvoir prendre les décisions sur la structure de ces services et ces programmes et sur leur mise en œuvre pour notre peuple.  

À l’échelle provinciale, notre principal rôle est de continuer à éduquer et à partager ces pratiques exemplaires, ces réalisations, ces réussites et la signification des relations authentiques.

D’autre part, les fournisseurs de soins de santé communautaire se doivent de réaliser qu’ils peuvent toujours être d’importants partenaires, mais qu’ils n’ont pas nécessairement besoin de diriger ce service. Vous pouvez néanmoins être un bon leader en suivant ce à quoi pourrait ressembler ce service et en aidant à le façonner. Cela ne signifie pas qu’une organisation se dissocie de cette relation, mais plutôt qu’elle adopte un rôle différent dans la relation. 

Nous avons été conscientisés par notre programme de sécurité culturelle autochtone à l’importance de collaborer à la conception du déploiement du curriculum. Il faut réaliser que les deux parties doivent travailler ensemble pour que cela fonctionne, que les deux parties doivent agir respectueusement. Je crois fondamentalement que tout le monde doit appuyer ce que vous faites, du point de vue communautaire et du point de vue du bien-être. »  

Nous avons aussi demandé ce que l’avenir réservera à la santé autochtone à Waterloo-Wellington et ce que signifie cette transition pour la santé autochtone entre les mains des Autochtones en général.

Brian Dokis, directeur général du SOAHAC :

« Nous utiliserons notre modèle de soins holistiques. En ce moment, nous n’offrons pas de soins primaires à Guelph, mais les soins primaires sont sans aucun doute le fondement pour l’accès aux soins de santé en Ontario. Tant que nous n’offrirons pas ces services, nous continuerons d’offrir le Programme de guérison et de bien-être autochtone au CSC de Guelph.

Il s’agit de notre cinquième site principal. Nous utilisons un modèle de soins interdisciplinaires dispensés en équipe comprenant des soins primaires, la guérison traditionnelle, des services de santé mentale et d’autres professionnels de la santé alliés. C’est le modèle que nous allons promouvoir dans la région. Il y a un grand besoin pour ce service. De nombreux rapports d’évaluation publiés ont révélé un besoin pour des services et des soins de santé primaires et de santé mentale dirigés par des Autochtones. Nous sommes surtout un fournisseur régional; nous fournissons aussi des services de santé du lac Érié à la baie Georgienne. Nous sommes nouvellement établis à Waterloo-Wellington, mais si vous venez pour recevoir nos services à Waterloo ou Guelph, notre objectif est d’offrir les mêmes services que nous offrons à Windsor. Les gens vont pouvoir venir et s’attendre à la même qualité et aux mêmes types de services qu’aux autres centres d’accès aux services de santé pour les Autochtones. »

Caroline Lidstone-Jones, directrice générale du Conseil des services de santé de première ligne aux Autochtones :

« Nos organisations croient fondamentalement que nous seuls, en tant que peuples autochtones, pouvons créer un espace véritablement sécuritaire pour les Autochtones; un espace qui offre des soins holistiques, qui permet aux patients d’avoir des choix, et qui intègre des méthodes de guérison traditionnelles.  

Ce que nous faisons ne s’arrête pas aux soins primaires; nous offrons des soins de santé d’une perspective holistique pour intégrer les divers aspects de la guérison : physique, mental, spirituel et émotionnel. Lorsque les services seront offerts, notre objectif est que les personnes puissent avoir accès à tous les aspects des soins de santé primaires pour assurer leur bien-être de manière globale. Il s’agit d’un des principes sur lequel notre organisation a été fondée; la santé et le bien-être holistiques sont au cœur de tout ce que nous faisons. 

Le rôle de soutien que d’autres organisations peuvent jouer dans cette démarche est tout aussi important. L’amélioration des résultats dépend de la qualité des soins et des relations que nous avons établies localement pour pouvoir satisfaire aux besoins. Les fournisseurs autochtones ne font pas la prestation de tous les services par eux-mêmes; c’est pour cette raison que nous avons dû établir de bonnes relations. Il faut le souligner et les gens doivent comprendre que c’est la clé d’une véritable réussite. Nous espérons pouvoir montrer d’autres réalisations de ce genre pour que les gens puissent commencer à comprendre la façon de procéder, les étapes à suivre et les raisons pour lesquelles c’est important.

Ce qui est bien de ce changement à Guelph, c’est qu’il n’a pas à être fait dans la confrontation, qu’il n’est pas question de gagnants ou de perdants, et qu’en bout de compte nous favorisons les meilleurs résultats pour les clients et les patients que nous servons conjointement. Ce n’est pas une question d’un ou de l’autre. »

Don McDermott, président du conseil d’administration du CSC de Guelph :

« Nous allons collaborer avec le Centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones du Sud-Ouest pour l’aider à ce qu’il ait tout ce dont il a besoin. Nous savons qu’il y aura une croissance. Nous savons qu’il y aura de nouveaux programmes. Nous sommes prêts à faire notre part dans cette nouvelle relation qui continuera à évoluer. » 

Raechelle Devereaux, directrice générale du CSC de Guelph :

« Nous croyons fermement que le transfert du Programme de guérison et de bien-être autochtone au Centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones du Sud-Ouest va améliorer la santé et le bien-être des communautés autochtones. Nous ne pourrions pas être plus emballés pour l’avenir de ce dynamique programme sous la direction renommée du Centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones du Sud-Ouest. »

Sarah Hobbs, directrice générale de l’Alliance pour des communautés en santé :

« Alors que l’Alliance consolide sa relation en évolution avec le Conseil des services de santé de première ligne aux Autochtones et les organisations de santé dirigées par des Autochtones de la province, nous savons que nous serons guidés par les principes fondamentaux de la santé autochtone entre les mains des Autochtones et de la progression vers des espaces et des services culturellement adaptés pour tous les peuples et les communautés autochtones. C’est pourquoi la santé autochtone entre les mains des Autochtones et l’autodétermination en santé qui sont imbriquées occupent une grande place dans la Charte pour l’équité en santé nouvellement révisée et mise à jour. Le leadership démontré par le Cercle consultatif autochtone au CSC de Guelph, le Centre d’accès aux services de santé pour les Autochtones du Sud-Ouest et le Conseil des services de santé de première ligne aux Autochtones, ainsi que par le conseil d’administration dirigé par la communauté du CSC de Guelph doit être souligné, car il s’agit d’un formidable exemple d’une réalisation de laquelle il sera possible de tirer parti au cours des mois et des années à venir. Nous espérons continuer à collaborer avec les dirigeants de la santé autochtone et leurs alliés afin de poursuivre ce travail essentiel. »