Allison Fisher de la collectivité de la Première nation de Wikwemikong est la directrice générale du Centre autochtone d’accès aux soins de santé Wabano. Elle a récemment reçu l’Ordre de l’Ontario en reconnaissance son travail à la tête du Centre de santé autochtone Wabano pour ce qui est de créer un sentiment d’identité et d’appartenance pour la population autochtone d’Ottawa. Lisez son histoire.
par Sofia Ramirez, responsable des communications de l’ACSO
#La « bonne vie »
« Bimaadiziwin » est un concept du peuple ojibwé qui associe intimement culture, santé physique et bien-être spirituel. Parfois appelé « la bonne vie », il souligne l’idée que la santé individuelle est indissociable de la salubrité de l’environnement et de la santé de la communauté. Traditionnellement, les contes, la danse et les chants ont été utilisés comme instruments pour relayer cette vision anishinaabé de la santé et du bien-être.
Dans un passé pas si lointain, des initiatives juridiques, comme la Loi sur les Indiens, ont tenté de supprimer ces expressions culturelles. Et cela en dépit du fait que ces chants et ces danses sont étroitement liés au cœur et à la santé du groupe. Le résultat de l’application de la Loi sur les Indiens a été une érosion de la pratique traditionnelle, de l’identité et de la santé de la population.
#Réintroduire les chansons
Allison Fisher, directrice générale du Centre autochtone d’accès aux services de santé Wabano, a grandi sous le joug de la Loi sur les Indiens dans la communauté de Wikwemikong, située sur l’île Manitoulin. Mais en 1959, lorsqu’Allison avait cinq ans, sa mère Rosemary Fisher a sillonné le nord de l’Ontario et les Prairies jusqu’en Saskatchewan dans sa Chevrolet bleue pour « réintroduire les chansons ». Elle y a été attirée parce qu’elle avait entendu dire que les chants et les danses traditionnels étaient encore enseignés clandestinement, à une époque où les Autochtones n’avaient même pas le droit de vote.
Ce geste courageux a changé des vies et mis la communauté sur le chemin de la guérison. Peu de temps après, la communauté Wikwemikong a célébré son premier pow-wow public, le premier événement du genre revitalisé dans l’Est de l’Ontario. « En voyant ma mère ramener le pow-wow, j’ai réalisé pour la première fois que rien ne m’arrêterait, dit Allison. Elle a créé un espace pour nous permettre à nous, les enfants, de grandir et de réussir. »
En 1960, un léger changement dans les lois a « autorisé » les Autochtones à voter. Allison a vu son entourage s’engager politiquement. La Fraternité des Indiens du Canada, aujourd’hui l’Assemblée des Premières Nations (APN), est devenue une entité politique, visiblement active. L’APN organise des assemblées au moins une fois par an, avec un siège pour le chef de chacune des Premières Nations du Canada.
#Wabano (ojibwé) : Nouveaux départs
Le cheminement de carrière d’Allison n’a pas suivi une ligne droite. Elle a passé 17 ans dans la fonction publique fédérale à Ottawa avant de décider qu’elle voulait être en contact direct avec la communauté. Elle a repris ses études pour poursuivre une maîtrise en psychologie du counselling à l’Université de Western Ontario, s’attendant à aboutir comme thérapeute dans une communauté éloignée. C’est un heureux hasard qui l’a amenée à Wabano.
Venue visiter un membre de sa famille malade à Ottawa, elle a pris connaissance d’un poste de DG vacant à Wabano, et elle a décidé de se présenter à l’entrevue comme un exercice. « Je suis venue à Wabano pour pratiquer, je ne voulais pas vraiment faire un travail de gestion, raconte Allison, mais j’ai accepté le poste parce que j’ai compris que j’arrivais au début de quelque chose que j’aurais l’occasion de voir prendre de l’ampleur. »
Allison savait aussi que la vie n’est pas facile pour les Autochtones en milieu urbain, en particulier ceux qui sont loin de leur communauté et de leur culture d’origine. Elle a vu l’occasion de faire ce qu’elle appelle « du travail auprès des gens » et elle tenait à partager l’expérience communautaire dans laquelle elle a grandi. « C’était un sentiment de communauté et d’appartenance que je pouvais apporter au centre. »
Maintenant, près de 15 ans plus tard, à la tête du Centre autochtone d’accès aux services de santé Wabano, Allison Fisher a contribué à créer un lieu d’appartenance et de soins pour la population autochtone d’Ottawa. Le centre a connu une croissance et une expansion remarquables. En mai dernier, Wabano a ouvert les portes d’un bâtiment redessiné de 25 000 pieds carrés, y compris l’espace pour les soins de santé et la programmation culturelle. Wabano sert maintenant plus de 10 000 Autochtones chaque année.
« Cet espace nous a donné l’occasion de favoriser l’engagement communautaire. Il a changé la trame narrative des gens d’ici. Ce bâtiment raconte comment nous nous percevons, et comment nous voulons nous percevoir. Il joue le même rôle que la Chevrolet bleue de ma mère, confie Allison. Nous redonnons la culture, la santé et le sentiment d’appartenance à des personnes qui se sentaient probablement isolées en ville. Nous apportons de l’espoir. »
Le centre symbolise également le soutien de nombreuses personnes et le dévouement d’Allison, qui a récemment été reconnu. Plus tôt cette année, Allison Fisher a reçu l’Ordre de l’Ontario, « la plus haute distinction de la province soulignant le plus haut niveau d’excellence et de réussite individuelle. » Mais ce prix n’est que l’un parmi beaucoup d’autres qu’elle a déjà reçus, dont l’Ordre d’Ottawa.
Allison Fisher ne s’accapare pas ces honneurs. Elle les attribue plutôt à sa communauté. « Nous sommes profondément fiers de qui nous sommes non seulement comme personnes, mais comme peuple. Ces prix sont vraiment un honneur pour tous, un reflet de ma communauté. »
#La culture comme guérison
Beaucoup de travail attend encore Allison et son équipe à Wabano. Elle définit la santé mentale des enfants et des adolescents comme l’un des plus grands défis pour la communauté. Un récent rapport d’un sondage réalisé avec l’appui du RLISS de Champlain, présente des statistiques alarmantes sur les questions auxquelles sont confrontés les enfants et les jeunes Autochtones, et leurs besoins en matière de santé mentale.
Plus de 300 jeunes Autochtones ont participé à l’étude qui a montré que les jeunes Autochtones présentent des taux plus élevés de dépression, d’anxiété, de pensées suicidaires et de toxicomanie que leurs pairs non autochtones. Ils vivent la pauvreté, la violence, l’insécurité alimentaire, le racisme et la discrimination et sont plus susceptibles de signaler des symptômes de problèmes de santé mentale. Ils n’ont pas non plus accès à des services.
Des programmes comme Culture Nights à Wabano et d’autres activités ont été créés à l’intention des jeunes et sont devenus très populaires. Les jeunes veulent faire partie de la communauté. Ce sentiment d’appartenance, d’identité, qui est réalisé en réintroduisant les jeunes à leurs propres contes, leurs danses et leurs chansons, revêt une importance vitale. La culture comme guérison est la devise de Wabano. La culture a été le chemin du retour et le canal de « Bimaadiziwin » et elle rend possible un avenir meilleur pour la prochaine génération, comme elle l’a fait pour la dernière.
« Des chants ont été créés pour faire entendre nos voix » (Écouter Miigwetch Notowinon du CD des femmes de Wabano)
#Comment Wabano soutient les jeunes
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Wabano offre des services de soutien en santé mentale et en toxicomanie axés sur la culture aux enfants et aux jeunes Autochtones. Les services comprennent la gestion de crise, la navigation du système et la gestion de cas, des consultations individuelles, des cercles de parole et de guérison, de l’art-thérapie pour les enfants et les familles, et l’éducation aux compétences de la vie courante.
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Pour améliorer la compétence et la sensibilité culturelles des fournisseurs de services, Wabano assure la formation des professionnels de la santé, des services de police d’Ottawa, de la Société d’aide à l’enfance et d’autres organisations de services communautaires sur les questions qui touchent la santé mentale et le bien-être des enfants, des jeunes et des familles autochtones, et la manière dont ils peuvent intégrer des pratiques culturellement sécuritaires dans leur travail.